Réhabilitation psychosociale

La réhabilitation psychosociale pourrait se définir
d’une manière très générale comme l’ensemble des actions
mises en œuvre auprès des personnes souffrant
de troubles psychiques au sein d’un processus visant à favoriser
leur autonomie et leur indépendance dans la communauté.

Comité français pour la réhabilitation psychosociale
(Leguay et al., 2008, p. 886)

Ce texte est extrait du mémoire de Master 2 de psychologie clinique de Nicolas FRANCOIS, psychologue à Rueil-Malmaison 0. D’autres extraits sont disponibles sur les pages suivantes : paradigme du rétablissement dans les troubles psychiques, médecine fondée sur les valeurs, psychothérapie institutionnelle.

La réhabilitation psychosociale

La réhabilitation psychosociale, un mouvement international

Le mouvement de la réhabilitation psychosociale s’est développé dans les suites du processus de désinstitutionnalisation rapide ayant eu lieu pendant la seconde moitié du XXème siècle dans de nombreux pays occidentaux (Barbès-Morin & Lalonde, 2006; Duprez, 2008) et notamment aux États-Unis. Ce processus a poussé de nombreuses personnes souffrant de pathologies psychiatriques sévères dans leurs familles, dans la rue ou en prison (Duprez, 2008). Le mouvement de la réhabilitation psychosociale intègre à la fois des patients, des membres de leurs familles, des professionnels du soin et des décideurs (Leguay et al., 2008). Ce mouvement prend notamment en compte la lourdeur des handicaps dus à la maladie mentale chronique (Giraud-Baro, 2007).

Le terme réhabilitation est apparu en France au début des années 1990 (Vidon, 2002). Il s’est progressivement substitué au terme réadaptation dans le domaine psychiatrique (Durand, 2012). Le mot réhabilitation est directement issu de l’anglais rehabilitation qui désigne à la fois le processus de l’intervention et l’objectif à atteindre (Barbès-Morin & Lalonde, 2006). Ce terme est employé en France pour qualifier une grande diversité de pratiques (Durand, 2012). Il a été abondamment utilisé dans les publications de l’industrie pharmaceutique, ce qui l’a diffusé mais en a aussi souvent infléchi le sens (Vidon, 2002). Ainsi, bien que la réhabilitation psychosociale suscite beaucoup d’intérêt en France, elle y est peu mise en pratique dans sa globalité (Giraud-Baro, 2007; Leguay et al., 2008). On constate plutôt des expériences disséminées, souvent centrées sur une stratégie en particulier, comme la remédiation, la psychoéducation, ou l’entraînement aux habiletés.

L’Association Mondiale pour la Réadaptation Psychosociale (World Association for Psychosocial Rehabilitation) a été fondée en 1986 (Vidon, 2002). Sa branche française, le CFRP (Comité Français pour la Réhabilitation Psychosociale) date de 1996.

La reprise de rôles valorisés dans la communauté

La réhabilitation psychosociale se concentre sur le fait que les personnes reprennent des rôles valorisés dans leur communauté afin qu’elles aient du succès et de la satisfaction (Farkas, 1996). Pour cela, la réhabilitation psychosociale s’appuie sur deux postulats (Cnaan, Blankertz, Messinger, & Gardner, 1988). D’une part la motivation de chacun à développer une maîtrise et des compétences dans des domaines qui lui permettront de se sentir indépendant et confiant en lui-même. D’autre part la possibilité d’apprendre de nouveaux comportements que les personnes peuvent mobiliser et adapter pour répondre à leurs besoins de base. Dans la vision actuelle, il ne s’agit pas d’accroitre certaines capacités prédéterminées, dans une logique normative, mais de développer celles nécessaires pour atteindre les buts que la personne veut atteindre (Farkas, 1996; Goyet et al., 2013). La réhabilitation psychosociale s’appuie sur des grands principes. Cnaan et ses collaborateurs (1988) en ont identifié treize, listés dans l’Encadré 1.

(1) L’utilisation maximale des capacités humaines : chacun a la capacité d’améliorer son niveau de fonctionnement.
(2) Doter les personnes d’habiletés : se concentrer sur le développement des habiletés plutôt que sur la disparition des symptômes.
(3) L’autodétermination : le droit et la capacité de chacun à participer à la prise des décisions concernant sa vie.
(4) La normalisation : permettre aux personnes de vivre dans les mêmes lieux que les autres ou en tous cas dans les lieux les moins restrictifs possibles.
(5) L’individualisation des besoins et des services : l’accompagnement doit être sur-mesure et non générique.
(6) L’engagement des intervenants : l’engagement personnel des intervenants montre qu’ils ont foi dans les capacités des personnes.
(7) La déprofessionnalisation de la relation d’aide : ne pas se cacher derrière son rôle professionnel, considérer la personne dans sa globalité.
(8) Intervenir précocement : intervenir dès les premiers signes visibles pour éviter les rechutes et les réhospitalisations.
(9) Structurer l’environnement immédiat : pour permettre un maximum de soutien de la famille, du travail, du réseau social.
(10) Changer l’environnement plus large : informer le public, adapter les services médicaux et sociaux.
(11) Pas de limite à la participation : le soutien doit être continu, et notamment ne pas être interrompu en cas d’hospitalisation.
(12) La valeur du travail : le travail intégré dans la vie sociale est considéré comme un besoin et un moyen de réalisation et d’intégration.
(13) La priorité au social par rapport au médical : dépasser le modèle médical et son aspect symptomatique pour favoriser une approche plus globale.
Encadré 1 : Les 13 principes de la réhabilitation psychosociale selon Cnaan et collaborateurs (1988)

Ces principes peuvent se décliner de façon plus précise. Par exemple, pour éviter la passivité et la dépendance des personnes vis-à-vis des lieux de soin, on cherchera à rendre les hospitalisations aussi longues que nécessaire mais aussi courtes que possible, à séparer les lieux de vie des lieux de soin, à développer des soins partiels et à introduire des discontinuités dans les prises en charge (Leguay et al., 2008). La réhabilitation psychosociale s’est aussi dotée d’outils comme la remédiation cognitive, l’entraînement métacognitif, l’affirmation de soi, l’entraînement des compétences sociales, la médiation thérapeutique, l’éducation thérapeutique et le soutien de la famille (Goyet et al., 2013). D’une manière générale, la réhabilitation psychosociale se veut complémentaire des soins classiques comme la psychothérapie et les traitements médicamenteux (Goyet et al., 2013; Leguay et al., 2008).

De la maladie à la répercussion fonctionnelle

La réhabilitation psychosociale déplace l’attention de la maladie vers le retentissement fonctionnel des troubles, en considérant notamment que ce n’est pas le projet du malade qui fait partie de son projet de soin, mais que c’est le projet de soin qui fait partie du projet du malade (Arveiller, 2014). Il ne s’agit pas seulement de prendre en compte les déficiences liées à la maladie, mais aussi les interactions avec l’environnement (Goyet et al., 2013) et la qualité de vie (Giraud-Baro, 2007). La réhabilitation psychosociale se base ainsi sur des actions destinées d’une part aux personnes souffrant de pathologie mentale, pour permettre l’acquisition de ressources personnelles supplémentaires, et d’autre part à la société dans son ensemble, pour qu’elle soit plus accueillante (Duprez, 2008; Leguay et al., 2008; Vidon, 2002).

La réhabilitation psychosociale rejoint ainsi la question du handicap, vu non pas comme une propriété de l’individu, mais comme une conséquence sociale. En s’inspirant de concepts issus de la santé physique et notamment de la classification des handicaps de Wood (OMS, 1980)1, Anthony et Liberman (1986) ont créé un modèle de la réadaptation psychiatrique séparant les impacts d’une maladie psychique (et les interventions associées) en différents niveaux : maladie/pathologie (pathology), déficit (impairment), invalidité/incapacité (disability) et désavantage/handicap (handicap). En positionnant la réhabilitation psychosociale sur la base de ce modèle (Figure 1), son champ s’étend des invalidités aux désavantages (Vidon, 2002).

Champs de la réhabilitation psychosociale
Figure 1 : Champ de la réhabilitation psychosociale Adapté de plusieurs sources (Barbès-Morin & Lalonde, 2006; Lalonde, 2007; Vidon, 2002)

Le champ de la réhabilitation psychosociale englobe ainsi ce que l’on nomme plus traditionnellement la réadaptation et la réinsertion2. Il vient ainsi interroger l’articulation entre ce qui relèverait du sanitaire et ce qui dépendrait du social (Leguay et al., 2008; Vidon, 2002), en mêlant le développement d’un savoir-faire et d’un savoir-être (Barbès-Morin & Lalonde, 2006; Lalonde, 2007).

La réhabilitation psychosociale est un mouvement international visant à permettre aux personnes atteintes de troubles psychiatriques de reprendre des rôles valorisés dans la société. Cette conception a déplacé l’attention depuis la maladie vers le retentissement fonctionnel des troubles. Si la réhabilitation a pu être considérée par le passé comme un outil critiquable pour sa dimension normative, la réhabilitation psychosociale se veut maintenant un champ beaucoup plus global. Ses acteurs font de plus en plus référence à la notion de rétablissement au point qu’il devient parfois difficile de dissocier les notions initialement présentes dans le champ de la réhabilitation psychosociale de celles plus directement liées au paradigme du rétablissement.

Références

0 Francois, N. (2015). Pour un accompagnement plus cohérent des personnes atteintes de schizophrénie (Mémoire de Master 2 de psychologie clinique). Université de Paris VIII, France.

1 La méthode descriptive maladie–handicap de Wood a été retenue pour la Classification Internationale des Handicaps (CIH) de 1980, remplacée en 2001 par la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF).

2 Barbès-Morin et Lalonde (2006) et Lalonde (2007) utilisent le terme réhabilitation pour désigner ce que nous nommons réinsertion en accord avec Vidon (2002). Faute d’un consensus sur des définitions précises, les auteurs utilisent parfois les mêmes termes dans de multiples acceptions. Il nous semble que ce champ théorique est en cours d’uniformisation, en particulier dans son vocabulaire francophone, par référence notamment à celui du rétablissement.

Bibliographie

Anthony, W. A., & Liberman, R. P. (1986). The practice of psychiatric rehabilitation : Historical, conceptual, and research base. Schizophrenia Bulletin, 12(4), 542‑559.

Arveiller, J.-P. (2014). Psychothérapie institutionnelle et rétablissement : De quelques préalables à un œcuménisme des pratiques. A l’Université Paris-Diderot le 13 décembre 2014. https://www.youtube.com/watch?v=mX0k6bc8ONQ

Barbès-Morin, G., & Lalonde, P. (2006). La réadaptation psychiatrique du schizophrène. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 164(6), 529‑536.

Cnaan, R. A., Blankertz, L., Messinger, K. W., & Gardner, J. R. (1988). Psychosocial rehabilitation : Toward a definition. Psychosocial Rehabilitation Journal, 11(4), 61‑77.

Duprez, M. (2008). Réhabilitation psychosociale et psychothérapie institutionnelle. L’information psychiatrique, 84(10), 907–912.

Durand, B. (2012). La réhabilitation aujourd’hui : Une dynamique renouvelée. Pluriel, 94‑95, 1‑3.

Farkas, M. (1996). Recovery, rehabilitation, reintegration : Words vs. Meaning. World Association of Psychosocial Rehabilitation Bulletin, 8, 6‑8.

Giraud-Baro, E. (2007). Réhabilitation psychosociale en France. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 165(3), 191‑194.

Goyet, V., Duboc, C., Voisinet, G., Dubrulle, A., Boudebibah, D., Augier, F., & Franck, N. (2013). Enjeux et outils de la réhabilitation en psychiatrie. L’Évolution Psychiatrique, 78(1), 3‑19.

Lalonde, P. (2007). Traitement, réadaptation, réhabilitation, rétablissement. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, 165(3), 183‑186.

Leguay, D., Giraud-Baro, E., Lièvre, B., Dubuis, J., Cochet, A., Roussel, C., Duprez, M., Bantman, P., Roelandt, J.-L., & Vidon, G. (2008). Le Manifeste de Reh@b’ : Propositions pour une meilleure prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques chroniques et invalidants: Document élaboré et validé par le congrès de Versailles (13 et 14 mars 2008). L’information psychiatrique, 84(10), 885‑893.

OMS. (1980). International classification of impairments, disabilities, and handicaps : A manual of classification relating to the consequences of disease.

Vidon, G. (2002). Comment le terme de réhabilitation est-il apparu dans notre environnement culturel ? In J.-P. Arveiller, Pour une psychiatrie sociale : Cinquante ans d’action de la Croix-Marine (p. 237‑244). Erès.